Ultra-book de charlottemegretPrésentation : Démarche artistique

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Charlotte MEGRET
charlotte.megret@hotmail.fr





 

1trospection

 

La liberté d'execution du dessin réalisé avec de simples crayons et estompes permet une spontanéité ouvrant la voie à toute sorte de divagations créatives. Pour reprendre les termes employés par BAUDELAIRE dans le Salon de 1846, l'enjeu du dessin consiste pour moi en une "manière de sentir", d'exprimer des valeurs d'"intimité", de "spiritualité" et d'"inspiration à l'infini". Considérant les évolutions artistiques ayant marqué le XXème siècle, l'influence du ROMANTISME sur mon travail pourrait sembler désuète. Il est vrai que je ne cherche pas à révolutionner la pratique du dessin ou à adapter cet art aux techniques et aux technologies propres à notre époque. Pas de dessin performé donc, pas d'oeuvres in situ ou de formats spectaculaires. Simplement des IMAGES-MIROIR s'efforçant de refléter des visions intérieures, tantôt figuratives, tantôt proches de l'abstraction.

 

"Si le dessin est le vecteur premier du dess(e)in et de son expression, il apparaît cependant que les artistes plasticiens placent leur travail dans une temporalité différente de l'actualité" confirme Christine Phal, présidente fondatrice de l'événement annuel Drawing Now à Paris. Langage spirituel permettant de créer des mondes à part et hors du temps, le dessin serait donc une technique privilégiée par des artistes soucieux de regarder davantage en eux-mêmes plutôt qu'autour d'eux.

Les inquiétudes issues de l'actualité et la lassitude d'un trop plein de réalité ont fait de mon imagination un terrain propice à l'épanouissement de sujets insolites1.

 

 

Grise mine

 

Grâce aux particularités propres à la technique du dessin au graphite, ces dessins sans couleur m'ont permis d'opposer une alternative au réalisme des images perçues au quotidien par notre vision naturelle. Á l'instar des artistes graveurs du XIXème siècles associés au genre de l'estampe VISIONNAIRE et fantastique, je perçois l'absence de couleur comme un langage visuel propice au "sommeil de la raison".

La tonalité dominant la plupart de mes dessins est froide et vaporeuse. C'est un monde blanc, onirique. Un désert recouvert en partie de haut-fonds liquides desquels se dressent des glaciers, des labyrinthes, des ruines ou des villes sous des ciels crépusculaires. L'apparition de personnages aux formes hybrides, où la géométrie se mêle parfois aux chaires grises et modelées par l'estompe, montre que ce désert est loin d'être inhabité. Il arrive aussi que de la végétation pousse sous la surface du papier. Des fleurs du mal qui se répandent de page en page. Les mots de Baudelaire se dissolvent dans l'air, et voilà que les formes hétéroclites deviennent des illustrations interprétant la voix du poète.

 

Dès les origines de ce projet de livre d’artiste, j’associais étroitement mes dessins au style littéraire FANTASTIQUE du XIXème siècle, multipliant les lectures des contes d'Edgar Poe, de Maupassant et de Théophile Gautier à qui Baudelaire dédia les Fleurs du Mal2. Les thèmes de mes dessins sont non seulement communs à ceux du célèbre recueil de poèmes, mais aussi l'utilisation du CLAIR-OBSCUR, métaphorique en littérature et réel dans le graphisme. Dans l'oeuvre de Baudelaire, ce clair-obscur s'exprime par la répétition d'un principe de dualité faisant inextricablement coexister le Bien et le Mal à l'interieur d'une même expérience de la vie3. Il n'est donc pas étonnant que cette double-postulation tende à s'exprimer par des images révèlant des formes au gré des ombres et des lumières, puisque les unes et les autres se révèlent et se mettent en valeur grâce à leur interaction.

 

 

Le Voyage

 

La scène du désert s'est modelée, construite et déconstruite durant plus d'un an. Au bout d'une vingtaine de nouvelles images, un personnage a fait son apparition dans le désert. Le regard sombre sous une couronne de méandres, son buste grisâtre est juché sur le dos d'un long serpent à tête de mort; autour des flancs de la bête surnommée Spleen (ou Ennui selon les lecteurs), une paire de jambes blanches s'agite dans les hauts-fonds du désert. Pour la première fois, ce cavalier a réussi à voyager le long d'un parcours suivi entre plusieurs dessins. Quoi de plus naturel puisqu'il s'agit de l'interprétation imagée du poème "Le voyage", dernier de la section intitulée La Mort, dernier poème aussi du recueil.

Le livre d'artiste rassemblant mes illustrations d'extraits des Fleurs du Mal se termine par cette narration figurée. Le passager du Spleen se laisse guider par les ondulation déambulatoires du grand serpent jusqu'à la mort, pour s' "enivrer de la douceur étrange [De cette après-midi qui n'a jamais de fin " . Cette exploration graphique invite à regarder encore et toujours en nous-même, afin de voir et de sentir ce que Les Fleurs du Mal nous racontent de la vie.

 

1« Et vu tant de regrets desquels je me lamente,
Tu t'ébahis souvent comment chanter je puis.
Je ne chante, Magny, je pleure mes ennuis,
Ou, pour le dire mieux, en pleurant je les chante,
Si bien qu'en les chantant, souvent je les enchante : »
- Les Regrets (1558) – extrait du Sonnet XII - Du Bellay

 

2. Au poète impeccable [au parfait magicien ès Lettres françaises [à mon très cher et très vénéré [maître et ami [Théophile Gautier [avec les sentiments [de la plus profonde humilité [je dédie [ces fleurs maladives. - Dédicace de Baudelaire à Théophile Gautier
 

3« Il y a en tout homme, à toute heure, deux postulations simultanées, l’une vers Dieu, l’autre vers Satan. L’invocation à Dieu, aux spiritualités, est un désir de monter en grade. Celle de Satan, ou animalité, est une joie de descendre. » - Mon cœur mis à nu – Baudelaire.